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Association CLUB ADLIS - Rencontres littéraires berbères
4 juin 2007

Extrait de "Fils de Fellagha"

Nous vous avions présenter, il y a quelques jours 2 livres, sur la période de la guerre d'Algérie,  d'un écrivain kabyle :  Si Hadj Mohand Abdenour.

Nous pouvons aujourd''hui, vous présenter un extrait du "Fils de Fellagha", avec l'authorisation bien évidemment de l'auteur.

"Cela se passait à Ait Ouatas en automne 1959, de l’autre coté, du piton de kalous dans une sorte de vallée escarpée qui fait face à l’imposante chaîne du Djurdjura, tournée vers le col d’Akfadou. De là, on ne peut voir que les villages d’en face, dans une orientation nord-sud : Agoucim, Mnea Bou-messaoud, car les Ait Ouatas nous donne cette impression de se dissimuler du regard des autres mamelons, des autres villages venus s’y percher depuis la nuit des temps, à l’instar d’Iferhounéne, Ait Larbi, El Mansour.

Pour se rendre à Michelet à partir de là, inévitablement vous devez emprunter la ceinture des ittourars par la portion du cercle (de la ceinture) située à gauche de  cette  route carrossable, que les forces d’occupation ont tracée, pour mieux surveiller les populations des imessouhals.

Quelques jours après l’exécution de mon père par les bourreaux de la France coloniale, au lieu dit Ighzer El Hocine, à mi-chemin entre les villages de Bou-messaoud et Ait Ouatas… Mon pauvre père ! Il avait subi les pires supplices avant d’être liquidé publiquement, d’une rafale dans la figure. l’unique rafale tirée ce jour, qui lui était destinée, et dont l’écho s’était fait entendre au loin comme pour éterniser ce forfait dans les esprits des pauvres  gens entassés. Ce jour, dans la cour de la mosquée de Sidi Abdelkrim.

Les balles qui l’avaient atteint, étaient entrées  à quelques millimètres au dessous des yeux, laissant de petits trous sur la face pour ressortir au niveau de la nuque dans des espèces de petits cratères, donnant l'impression d’impacts de bombes explosées à l’échelle miniature.

Ma mère et moi-même avons gardé un traumatisme qui ne s’effacera  qu’avec notre disparition, l’un après l’autre en quittant ce monde  pour plonger dans l’océan de l’oubli. Peut-être le reverrons nous dans l’au-delà ? En tout cas nous y croyons tous les deux fermement, c’est l’idée qui prévaut chez les croyants, dont nous faisons partie, toutes religions confondues. Cette idée nous fait quelque peu oublier, de temps à autre, sa disparition.

Mais pour l’instant, me voici donc seul, n’ayant plus de soutien, de conseil, ni d’amis intimes avec la disparition de mon meilleur confident, guide et père en même temps.

9 ans c’est l’age que j’avais à cette époque. Pour moi, une vie vient de prendre prend fin, celle de la jeunesses insouciante ; une autre commence, celle des adultes plongés dans l’arène  des combats , des embuscades, de la torture  du viol et des exécutions sommaires.

Me voila donc investi d’une lourde responsabilité : celle d’abord  de réconforter  par ma présence, une mère dont le moral vient d’être doublement atteint, par la perte de son fils aîné en 1958 au village de MAHMOUD tué par les chasseurs alpins campés à Ait Hichem, puis de son mari, sous les balles assassines des roumis en automne 1959 comme j’ai dit, à Ait Ouatas. Ensuite de prouver que je pouvais  sinon de tout prendre en charge du moins de l’assister  dans toutes les tâches pénibles  et surtout les plus périlleuses qui, en règle générale ne peuvent être exécutées que par les hommes mùrs et coriaces.

L’intérêt croissant dont je commençais à présent à faire l’objet, a eu pour conséquence immédiate de me transformer non seulement psychologiquement mais aussi physiquement.

Je me sentais déjà mùr  à cet âge et capable de mener des missions qui, généralement n’étaient réservées jusque là qu’aux adultes comme par exemple accompagner une jeune femme aux champs, la surveiller et la protéger. Ou bien monter sur un arbre très haut pour couper ses branches avec une hache aiguisée, aller pendant le ratissage, vérifier si les soldats ont quitté les lieux pour rentrer au bivouac ou camp, vérifier dans quelle direction se dirigent les troupes, croiser une compagnie pour s’assurer que celle-ci n’avait pas ramené de prisonniers et identifier que les soldats  ne sont pas étrangers à la région.

Mes nouvelles responsabilités allaient, j’en étais très conscient, m’exposer à mon tour  à des risques  réels plus grands. Aussi, cette prise de conscience de mes nouvelles tâches, dans mon esprit ne trouvait aucun justificatif pour je croie un seul instant pouvoir être en mesure d’attirer ni l’indulgence ni  la clémence de soldats français, encore moins des harkis que je ne portais pas dans mon coeur. Pour ce qui concerne ces derniers, soit dit en passant, je n’avais jamais compris, la cause pour laquelle ils se battaient. Certains d’entre eux ont pourtant,  assisté, sans broncher, à la torture de leurs propres progénitures qui, eux avaient choisi le camp « des fellaghas ».

Faut dire que bien avant cet âge, je connaissais déjà et les physionomies de plus d’une dizaine de harkis. Leur origine géographique par village mais aussi leurs caractères dominants. ainsi , je réussissais sans l’aide de personne , et sans grande peine à vous reconnaître la présence de Mohand Tizi, de Fellak Ouali,  Younes ait a.., ait s…., Mohand Ouidir, Mohamed Ath Meddour, «doumra », Ait Oueyaali, de Bouhraoua et d’autres soldats….. De loin…à l’intérieur d’un long détachement,

Autant dire que 9 ans était pour nous déjà l’âge  adulte chez les fils de fellagha, orphelin de surcroît. Voilà à quoi, enfants de la guerre, nous jouions.

Je m’étais immédiatement mis en situation professionnelle, sans grande peine. Et voilà mes premières missions que j’avais acceptées avec orgueil et satisfaction : je me souviens parfaitement de cette première sortie aux champs, accompagnés d’une dame, qu’auparavant je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam.

Une belle femme  d’âge ne dépassent guère 25 ans  et dont le mari se trouvait être en situation d’immigration, en France, depuis plus de 3 ans est venue à la maison, solliciter de ma mère que je l’accompagnasse au champ situé à quelques kilomètres  sous le village, sur un relief très escarpé. Ma mère ne pouvait refuser et moi non plus, d’autant que nous étions dans ce village, ce que l’on appelait à cette époque de la guerre, les réfugiés. et, pour cette raison précise, nous devions nous montrer très aimables  pour ne pas être exposés à la vindicte d’une population où les motifs autres que l’exiguïté et la gène que nous avions occasionnées  à la famille qui nous avait accueillis, sont aussi nombreux que dangereux pour leurs conséquences .

Sitôt dit sitôt fait. En quelques minutes nous étions sur le point d’atteindre le champ en question, moi et « la belle au bois dormant ».

Un beau jardin entouré d’une haie archaïque faite de branches  d’arbres secs de fil de fer rouillé accroché à quelques piquets  de  fer également rouillés, nous accueillait. Des carrés minutieusement disposés de salades, de piments, de tomates, de menthe douce, de pommes de terre, courgettes et d’haricots verts, entre lesquels coule, tranquillement une eau turbide, mais très fraîche, avec un gazouillement à peine audible et qui rend encore le calme de cet endroit sublime mais effrayant dans un décor cependant féerique. Aucune vie ne semblait se manifester autour de nous. Pas le signe d’un oiseau, d’un lièvre ou d’un chacal, même au loin. Rien ne signalait que nous étions à cet instant même, seuls,  en zone dangereuse.

Devant ce silence assourdissant, la dame, debout devant moi en position de mouton, les mains agiles occupées à cueillir  ça et là toutes sortes de légumes  dont elle formait un gros tas qu’elle posait à même la terre. Sans doute gênée par ma présence et mon silence en même temps, elle prit l’initiative de rompre  la glace  sans se retourner, son postérieur en face de moi et me dit «  peut être, voudrait tu rentrer à la maison ? »

« Non ! »  M’empressais-je de lui répondre.

Je savais au fond que  je ne pouvais pas l’abandonner  toute seule. Les risques sont multiples et de grande ampleur, étant, malgré tout,  convaincu que je ne pouvais être, dans certains cas, d’aucun secours, en ces moments de guerre.

Une foule d’idées envahit mon esprit – « et si quelqu’un fusait de ces végétations touffues avec des intentions criminelles ?».  Et si les soldats nous surprenaient là, quelle devrait être ma réaction ? Surtout dans le cas ou quelque  sadique ou criminel venait à laisser libre court à ses instincts bestiaux ? » «  Devrais je défendre la femme,  crier ou me sauver ? » Mon dieu ! Quelle lourde responsabilité. mais l’idée qui me hantait le plus serait d’être forcé d’assister  sans broncher à un viol sur une personne qui représentait pour moi, une compagnonne, qui aurait pu être à la limite, une sœur, voire même ma mère. C’est cela, ce que les kabyles appellent l’ anaia pour laquelle, un homme doit mourir. Pour ne pas laisser son protégé se faire attaquer par un ennemi. En effet, ce monstre imaginaire mais potentiellement réel deviendra de facto, mon ennemi contre lequel je  devrais me battre. C’est cela le piège dans lequel je me voyais subitement tombé. Une logique implacable d’un aller sans retour.

cette idée m’obséda d’autant plus que , la beauté , la taille  , la corpulence de cette jeune femme semblait faites pour attirer les hommes,  et que dire de ces monstres privés de relations sexuelles depuis des mois voire même des années, fabriqués par la mission civilisatrice occidentale ?. En somme une véritable poudrière devant un enfant qui vient tout juste d’ouvrir les yeux sur ce monde de la sensibilité, de la beauté, de la sexualité.

Mon esprit, à ce moment a été traversé par l’idée de la relation sexuelle. A cet age ? Oui cela est possible ! Libres aux psychologiques de tirer les conclusions qui pourraient révéler ma constitution psychologique, mais moi je persistais à observer cette créature, seule, qui ne se doutait pas  que mes yeux étaient fixés sur elle, depuis notre arrivée à cet endroit, d’abord pour la crainte que j’avais éprouvée pour elle au début et, par la suite, pour son charme, sa féminité et sa grâce. elle me donnait l’impression de m’être confiée corps et âme - elle était même entre mes mains d’enfants fragiles, sous ma responsabilité d’adulte - un terrible paradoxe que je n’arrive pas à comprendre tout à fait et qui me mit dans une situation d’ébullition, au point de perdre la raison. C’était trop de pression psychologique sur moi.

Je priais dieu que tout se passe sans incident- car entre la paix de l’esprit que j’éprouvais à cet instant et le risque d’une  détérioration dangereuse et rapide de la situation qui pouvait d’un moment à un autre facilement se terminer par un drame que je ne pourrais ni supporter   ni éviter ni oublier.

La journée s’était fort heureusement terminée sans aucun incident, nous retournions  à la maison, galvanisés par notre épreuve et notre exploit d’avoir pourvu notre famille  en légumes  pour plusieurs jours.

Cette expérience d’accompagnateur de jeunes filles charmantes, aux champs allait se répéter plusieurs fois et allait même devenir une sorte de routine pour moi.

Cette fois, je devais me déplacer, en compagnie d’une autre jeune femme sur un autre champ plus exposé que le précèdent à l’observation des militaires du camp voisin Agueni Adella.

Nous arrivions au jardin potager à environ 2 km du village sur un relief relativement plat .même scénario, la dame commençait à irriguer ses carrés. J’éprouvais un peu plus de contenance que la première, car c’est ma deuxième expérience périlleuse. Une demie heure à peine s’était écoulée qu’au dessus de nos tètes  planait à haute altitude, un piper. Rien de grave, ne nous nous étions ravisés intérieurement, comme par télépathie. On entendait un très léger mais assez long souffle et l’avion disparaissait de notre champ visuel

Oh ! Plus de peur que de mal. Nous savions aussi que ce type d’appareil n’était pas conçu pour des attaques. Il s’agissait d’un avion que les kabyles surnommaient ‘ «  le mouchard  »  ou en français l’espion. On savait aussi qu’il transmettait des informations au sol et aux avions d’attaques  ou de bombardement massif.

Mais, erreur ! Car, ce que nous croyions être un passage routinier n’était en fait qu’une simple feinte, ou bien avait il terminé de bien mener sa mission, puisque pas plus  de 5 minutes seulement se sont  écoulés qu’un t6 est venu pointer son nez droit devant nous. En rase mottes, il piqua sur nous et l’absence d’arbres susceptibles de le gêner dans sa manoeuvre, le rapprochait de nous comme pour nous donner un coup de bélier

et vroom !; il passa au dessus de nos têtes avec un bruit assourdissant et vibrant en même temps puis, s’éloigne en prenant de l’altitude pour éviter de heurter  plus loin le flan  du piton de timezguida. c’était à cet endroit que les armées de Constantine et de bordj Tizi-Ouzou conduites par Randon, mac Mahon et yususf  ont choisi  d’installer leur bivouac en 1854 puis en 1857.la dame  de l’époque qui avait refoulé ces armées la première fois, après la pacification des béni iraten et des béni ouacifs, moyennant des pertes énormes de part et d’autre des belligérants, était la velleda Lalla Fatma N’Soumer dont le docteur A.Bertherand, dans son œuvre « campagnes de Kabylie », disait qu’il avait une voie aigue  en même temps vibrante, sans la nommer. Le docteur avait pourtant décrit le repli des toutes les forces en présence sur bordj Tizi-Ouzou, mais a sans doute volontairement omis de donner les causes exactes de cette fuite. Des soldats français vers la plaine.

Mais la dame qui vaquait à ses occupations avec un sang froid extraordinaire, et qui était là devant n’avait rien à voir avec cette légendaire guerrière visionnaire,

Elle a eu tout de même, à ce moment la présence d’esprit de me prodiguer  les meilleurs conseils pour mon suivie, avant que le t6 n’ait le temps de revenir sur nous.

Elle me dit «  ne bouge surtout pas ! Fais le mort et surtout ne t’affole pas, ne te retourne même pas pour regarder l’avion qui va certainement revenir sur nous dans quelques secondes »

J’ai suivi ses conseils à la lettre. Allongé sur un carré de menthe douce, légèrement couvert par de  longs plants d’haricots verts et de courgettes grimpant, de feuillages de tomates. Immobile je fis le mort et retins mon souffle pour ne pas dire que j’étais tout simplement mort de peur.

Une deuxième fois l’avion à unique hélice avant allait nous narguer en fonçant sur nous dans le sens inverse. Un moment j'avais cru qu’il allait toucher nos têtes.

J’avais alors eu le réflexe de lever les yeux brusquement pour apercevoir à travers une lucarne, quelques secondes durant, le pilote avec son casque, qui passait au peigne fin l’endroit où nous étions la dame et moi-même.

Il repart cette fois à basse altitude sans doute pour scanner toute la zone qui nous environnait.

Curieusement, cette deuxième virée à rase-mottes au dessus de nos têtes, au lieu de m’effrayer, a eu sur moi un effet inverse. Ce que je n’arrivais pas à m’expliquer. mais mon intuition m’éclaira : je n’avais plus peur cette fois et je me payais le luxe de bien fixer l’avion à son troisième passage, tout juste si j’avais contenue, en moi cette subite envie de saluer le pilote histoire de réconforter ma conviction que nous ne sommes pas des fellaghas - mais qu’il s’agissait  tout simplement d’une mère, il est vrai très jeune, accompagnée de son fils, tentés par une action imprudente en ces temps  où règnent la faim et la mort en maître suprêmes, de se procurer quelques légumes pour se nourrir.

L’avion disparaissait dans le ciel et la peur de notre esprit, comme par enchantement. Nous reprenions le chemin du retour au village, plus galvanisés encore par cette nouvelle expérience observée, cette fois, par tous les villageois de loin.

Ma troisième mission va être très particulièrement périlleuse et très longue en ce sens  qu’elle  durera sur un trajet de 10 km de surcroît je devais l’assurer en seul- elle fera l’objet d’un récit individualisé dans mes prochains articles.

Pour commander son livre, veuillez vous adresser directement à l'auteur : sihadj.abdenour@hotmail.com

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