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Association CLUB ADLIS - Rencontres littéraires berbères
9 juin 2008

Lecture dans "Le Calcul Inconscient de l'Improvisation" de H.JOUAD

Lecture dans :

« le calcul inconscient de l’improvisation »

De Hassan Jouad. Paris-Louvain, Peeters 1995.                                                

Par OUCHTAINE Mohamed

Linguiste et anthropologue né en 1949, Hassan JOUAD est originaire des Ait-Mgoun dans le Haut-Atlas marocain.

Ce livre propose une nouvelle théorie d’analyse métrique des corpus de chants et de poèmes. Il prend comme matière d’étude un ensemble de poèmes et de groupes de vers collectés dans le Haut-Atlas, notamment l’Izli des Ait-Mgoun.

Les méthodes d’analyses métrique, souvent issues des traditions gréco-latines stipulent que le vers est une unité qui va de soi. Il est déterminé par un nombre défini de syllabes qu’il revient de vérifier pour écarter les vers irréguliers, c’est « la théorie du bon nombre ». Or cette théorie ne nous permet que d’analyser ce qu’on sait déjà être un vers. Elle ne nous ai pas d’un grand secours face à des énoncés orales non versifiés comme c’est le cas de l’Izli du Haut-Atlas ou de l’Amjrrd du Souss.

En poésie la versification régulière, le principe de la constance de la longueur est constitutif de la construction de l'énoncé versifié alors qu'il n'est pas compatible avec l'énoncé ordinaire.   

            En dehors de la rime et de la pause de la fin du vers, quelque chose permet de reconnaître et de distinguer un énoncé versifié. Dans l'azli des Ait-Megoun le vers n'est pas immédiatement reconnaissable, ni isolé. Pour parer à cette insuffisance, H.Jouad propose une autre méthode d’analyse et s’attaque principalement au phénomène du vers vide en poésie berbère, plus connu sous le nom de ‘talalayt’ dans le sud du Maroc.

Le phénomène du vers vide

            C'est le phénomène du vers vide qui se produit après le lancement d'un premier vers. Le jugement devient suspendu tant que la suite, c'est-à-dire, le vers qui va suivre n'est pas encore choisi par le poète. Celui-ci met "en branle" sa mémoire à la recherche de la bonne issue possible. Ceci est le suspense que suscite le vers en échange poétique improvisé.

            Le vers vide est le vers répété par le chœur entre chaque réplique dans les joutes poétiques. Elle est composée du même nombre de syllabe et de la même mélodie que celle employée par les poètes.

            Il est appelé "Talalayt" en tachlhit :

            Exemple : a la lay la la la day la la la la la li

            Le vers vide ne véhicule aucun contenu sémantique, c'est pour cette raison qu'il est appelé ainsi. Il est utilisé comme refrain ou partie de refrain.

Le découpage trans-lexical :

            La matière phonétique de chaque vers est soumise à deux découpages divergents et simultanés.

            - Un découpage morphosyntaxique : découpage en forme de monèmes ou  unités de sens.

              Exemple :        - Is/ur/nbdi/timizar/tamz/kn/ti/nnun.

           - Un découpage trans-lexical : découpage du vers qui ne prend pas en compte le sens et les frontières de mots, en syllabes métriques.

                                      - I/su/rnb/di/ti/mi/zar/ta/mz/kn/ti/nnun.

            Le découpage trans-lexical est calqué sur le model du vers vide. Il permet de comparer les deux formes. La syllabe métrique s'aligne parfaitement sur son équivalent en nombre de phonèmes que dans la forme du vers vide.

            La formule du vers vide comprend deux consonnes d'attaque mélodiquement opposées :

Une consonne neutre [l] de : la, li, lal…

Une consonne basse [d] de : day.

            Dans l'alternance des consonnes dans les autres vers pleins :

[l] est remplacé par des consonnes neutres : m,n,l,r,w,y…

[d] est remplacé par des consonnes basses : b,d,g,z,h…

            Les deux peuvent être remplacées par des consonnes à mélodie ambivalente : d,z,ž.

L'alignement du découpage trans-lexical sur le model du vers vide se parachève grâce à des opérations secondaires d'ajustement :

-         Détournement des indices de nombre de leurs usages morphosyntaxiques : le pluriel à la place du singulier ou l'inverse.

-         Interpolation : insertion de phonèmes (voyelles ou semi-voyelles) dans les zones ou il peut avoir des trous par rapport à la formule vide, sans pour autant affecter le sens.

                                A gigh aghrib nra agi k nasi tayasit.

            

Souvent avant un verbe ou une proposition. A ne pas confondre avec le "a" à valeur appellative :

                                 A Moh a brahim a lawbaz mhadanin.

Ces manquements aux règles morphosyntaxique sont tolérés par les poètes et même par les auditeurs, alors qu'une irrégularité par rapport à la forme du vers vide est retenue comme signe de défaillance et d'incompétence du poète.

Conclusion : c'est l'uniformité du découpage trans-lexical qui fonde l'autonomie du vers en tant qu'unité de discours.

            

Notre avis : 

Un ouvrage de grande valeur et un bon manuel pour tous ceux et celles qui voudraient faire de l’analyse de poésie. Il propose une méthode propre à la poésie berbère et nous livre le secret que gardent jalousement et souvent inconsciemment les poètes pour élaborer leurs répliques d’une manière spontanée qui n’a rien d’arbitraire.

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