Dossier KHAIR EDDINE
Cette première soirée littéraire constitue un début du ce travail de fourmis que chacun de nous a le devoir de faire en tant que témoin de cette destruction voulue des fois par une certaine élite officielle, qui ne rate pas d’ailleurs aucune occasion pour jeter dans la poubelle de l’histoire tout cet héritage culturel et civilisationnel amazigh.
C’est à nous aujourd’hui, témoins de cette hemoragie culturelle et de cette mort lente de la culture amazigh, qu’incombe la responsabilité de faire connaître et surtout de sauvegarder ce trésor qui fait partie de nous sans lui donner la sacralité des extrémistes.
Ce soir, je vais essayer de vous parler d’un grand écrivain amazigh qui n’a jamais cessé de revendiquer son identité via ses écrits et qui a su la valeur de l’écrit avant celle de l’oralité, cet écrivain marqué par le refus et le rejet de toute étrangeté de sa langue sur sa terre natale.
Il était proche des soucis identitaires des autres tout en étant cet autre qui se parle à lui à travers ses critiques et ses remises en question du conformisme officiel. Ce conformisme qui visait à réduire au silence les aspirations des femmes et des hommes qui ne voulaient que parler leur langues et respirer leurs libertés comme ils l’ont tétés de leurs mères.
Il s’agit bel et bien de Feu M. Khair-Eddine ou de l’enfant terrible de la littérature maghrébine.
Présentation :
Le 18 novembre 1995, l'écrivain Mohammed Khaïr-Eddine mourait d'une maladie contre laquelle il a lutté de toute son énergie, allant jusqu'à perdre l'usage de la parole mais faisant entendre sa voix malgré tout, comme en témoigne son journal : « On ne met pas en cage un oiseau pareil » (Dernier journal, août 1995) . Il a ainsi puisé dans l'écriture une force capable de transformer la douleur et la souffrance en acte de création et de dépassement.
L'année 2006 marquera les onze ans de la mort du poète qui nous a laissé une oeuvre des plus intenses et des plus imposantes. Cette force singulière tient en grande partie à ce que l'homme et l'oeuvre n'ont jamais cessé de se confondre dans un principe commun de remise en question perpétuelle, touchant sans doute à une conception de la vie et de l'humain.
Si on a beaucoup dit que la production littéraire de Khaïr-Eddine est marquée par les thèmes de l'errance et de l'exil ainsi que ceux de la révolte et de la subversion, il reste toutefois à aller plus loin dans cette oeuvre ouverte sur tant de possibles dans le domaine de la lecture et de la recherche.
Nous sommes ainsi en présence d'une oeuvre où domine cette constante absence de norme et de repère, où prédomine le principe de destruction et de construction et d'où se dégage, par-dessus tout, l'idée que la création sauve l'identité du chaos. Ecrivant en dehors de tout respect des genres littéraires classiques, Khaïr-Eddine pratique le brouillage générique, mêlant narration, poésie et théâtre, passant de l'un à l'autre, en quête d'une écriture « totale » qui se prête à divers questionnements.
C'est ainsi qu'on pourrait analyser les formes scripturales qu'invente cette oeuvre dont on n'a pas fini d'épuiser la richesse. Elle s'inscrit en effet dans le paradoxe d'être à la fois si particulière dans son unicité et si fragmentée dans ses formes mêmes.
La question de la langue, quant à elle, se pose, chez Khaïr-Eddine, en termes pluriels entre langue étrangère et étrangeté de la langue au coeur desquelles se joue la question de l'identité et de l'altérité. Il y a là matière à réflexion.
On pourrait aussi interroger cet imaginaire foisonnant et tourmenté à la fois qui s'articule autour de grandes figures relevant autant du spécifique que de l'universel.
Une réflexion sur les rapports entretenus par l'écriture de Khaïr-Eddine avec la culture maghrébine, notamment dans sa dimension berbère serait également féconde.
Par ailleurs, saisir la place de l'histoire et de la mémoire dans la production littéraire de Khaïr-Eddine contribuerait aussi à une meilleure connaissance de son oeuvre.
Enfin, l'analyse de la pensée de Khaïr-Eddine offre des pistes de recherche à explorer, notamment en tant que pensée de l'ailleurs ou encore en tant que pensée de l'avant-garde.
Ce sont là quelques suggestions faites au débat de cette modeste présentation spéciale Khaïr-Eddine dont l'oeuvre bien qu'animée par des pulsions contradictoires, frappe toutefois par sa puissance, notamment dans ce qu'elle cherche à transmettre sur la littérature elle-même.
L’Engagement :
Souvenirs de l’enfant terrible
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Mohamed Khair-Eddine est un mythe de la littérature maghrébine de langue française. Il a su marquer de sa belle plume, sa génération et celle qui, plus tard, s’est longtemps inspirée de son verbe révolté, de son monde rude, chantant à la fois la beauté “sudique” et dénonçant le marasme qui a pénalisé le Maroc pendant de longues années. Le Parcours : Mohamed Khair-Eddine est né en 1941 à Tafrouat, d’un père commerçant qui quitte très tôt le Sud, à destination de Casablanca. À son tour, le jeune Khair-Eddine habitera à Casablanca pour poursuivre ses études au lycée. Son amour pour la littérature révèle très tôt son penchant pour la poésie. Les centres d’intérêt sont divers. Le style est très soigné. La poésie est évasion et colère.
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Mohammed Khaïr-Eddine
(ou Agoun'chich l'errant)
«Derrière lui, la ville, le pays. Il les a quittés un matin le soleil ne s 'était pas encore pointé... La mort qui venait froisser ses draps alors qu'il était bébé, le faire rire ou pleurer..» (Le déterreur, p. 126)
Il disait : «Je désire trouver une phrase qui résume tout.» En deux mots on dira Khaïr-Eddine. Écrivain de refus, il l'a maintes fois prouvé dans ses écrits romans-poèmes. De Agadir, en passant par Corps négatif suivi de histoire d'un Bon Dieu, Soleil Arachide, Moi l'aigre, Le Déterreur, Ce Maroc !, Une odeur de mantèque, Une vie, un rêve, un peuple, toujours errants, la Résurrection des fleurs sauvages, Légende et vie d'Agoun'chich et enfin Mémorial, le même cri résonne à chaque fois, un cri qui résume le 'tout' «la beauté qu'il chantait, la révolte qui l'habitait et 1'insoumission dont il rêvait de vêtir ses frères en désespoir.» (revue Tifinagh n°9)
Sudique
que je crée par la pluie et les éboulis
que je transforme en lait nuptial pour des
noces de torrents(..)
Sudique
percée d'oubli soudain par des troupes ferventes
de poèmes
qui font éclater chaque pierre sous mes pieds
quand mon corps bée
entre des mains bleues
entre les flûtes
Sudique sur un pic miraculeux
couleuvre jeune récitant des piétinements sans histoire(..)
et ces tristes airs d'abandon et de haine
ces crieurs ces goumiers qui traînent
leur vie mortelle
ces Phéniciens ces nus voraces
Sudique de rutilance et de scorpions
sur tes seins enroulés fermes
et ce maudit esclave qui crache dans ton ombre.
(Ce Maroc !, Le Seuil, 1975, p. 29-31)
Ce Maroc l'obsédait, surtout pendant les années d'exil en France. Sa patrie, celle qui lui a tenu compagnie, était surtout la poésie, territoire qu'il arpentait sans se soucier des bienséances de la vie sociale. (In Le Monde des livres du 1er décembre 1995)
«Dans Agadir, disait-il, je remet tout en question : la politique, la famille, les ancêtres. Je crois qu'il faut faire tomber les vieilles statuts, tout changer par l'éducation du peuple (...) Je n'hésite pas à faire le procès de mon propre sang car il n'arrive pas à se dépêtrer de lui-même, à se transformer» (Ce Maroc !, op.cit. p.81) N'écrit-il pas dans Une vie, un rêve, un peuple, toujours errants : «Je renierai les Berbères qui auront pour du fric ou des espoirs inutiles trahi la fonction de ce monde.» Dans Moi l'Aigre, il rajoute : «Mais quelle est la goute de sperme qui a fait de moi un Berbère... [mais] les Berbères se sentent très proches des fous et des génies, ils ont la vérité fixée sur le front et ils corrigent la vie selon leur goût.» (p. 35)
Son sang est sa blessure, ce n'est pas sans raison que je m'exile ici. D'abord je voudrais faire un chemin à suivre. Et en même temps attirer l'attention du voleur et du volé, de crocodile et de la victime, des nouveaux sorciers de l'Afrique et des hypnotisés... (revue Souffle n°1, premier trimestre 1966, p. 7).
ma plaie
où seule l'abeille trouve des fleurs neuves
porte-moi loin de cet oubli
battant
et rampe
pays pays je plie bagages
ceux qui ajoutent du noir
à leur cellule
me voient partir
pays pays où seule la terre
se souvient
et hurle
quelle terreur couve
sous ta colère.
(Ce Maroc !, p. 21-22)
Son exil, il en parle à travers son vécu et à travers le quotidien. Agoun'chich est parti «... ce qui importe, ce qui prime tout le reste y compris ton existence et la mienne, c'est d'abord qu'on passe ici où là, de temps en temps, avec soi-même et avec les autres (...) cette harmonie fugitive qui vous condamne à vivre ou à périr (...) Cependant je marche ? je vais, je cours, je cherche sans relâche quelque chose qui me fasse désirer la vie» Agoun'chich (p. 68)
«Et j'erre
avec ma bombe sous l'aisselle,
banlieue foutue... oui j'erre
et je suis la nuit bleue
travaillé par le feu des enfers
et la braise pneumatique qui sangle la gravité des nuits...
mais cela ne s'écrit pas ! j'étais là fusillable,
Solo, toujours solo, chantant
en bus, métro et dans la rue or on me tire dessus !
Je sors donc mon couteau
et je me tue moi aussi
Épreuve des banlieues,
hypothétique cité
où personne ne vit
sa vie!
Suis-je orphelin
de ma terre oubliée
et dont pas même l'image
ne vient
effleurer mon affect ?»
(Extrait du Quasar II, Tifinagh n°8, déc. 1995)
Cette obsession du sud, qui est à l'oeuvre dans ses textes, procède à la fois d'un vécu au contact du terroir et d'un travail sur le langage. «Quand vous débarquez dans un pays que vous n'avez jamais vu ou que vous avez déserté depuis longtemps, ce qui vous frappe avant tout, c'est la langue que parlent les gens du cru». (Agoun'chich, p. 9) «Le Berbère oublia son écriture et une grande partie de son vocabulaire, car le premier soin du colonisateur fut à, tous les coups de le dépersonnaliser, le déposséder de ses racines, autrement dit, il tenta toujours de transformer radicalement le Berbère en un homme d'une race qu'il n'était pas, comme si l'on pouvait changer un pygargue en serpent de mer.» (Agoun'chich, p. 129)
L'errance s'inscrit dans un projet de réactivation d'un bonheur lié à un espace, dont les signes authentiques ont été effacés sous l'influence de diverses invasions. Le rôle de cette errance sert à dénoncer (la modernité sauvage), les changements que l'évolution mouvementée de l'histoire a fait subir à cet espace si singulier par sa nature et sa culture qui est le sud. (A. Tenkoul, Littérature marocaine d'écriture française, Casablanca, Éd Afrique Orient, 1985.)
L'Agoun'chich, ses sentiments restent partagés. Il se débattait avec lui-même entre deux rives... Il a vécu loin des projecteurs, «sa mort» - (pardon ! la mort c'est l'oubli) - va déterrer ce déterreur pour être lu et relu.
BIBLIOGRAPHIE
- Agadir, 1967
- Corps négatif, suivi d'Histoire d'un bon Dieu, 1968
- Soleil arachide, 1969
- Moi, l'aigre, 1970
- Le Déterreur, 1973
- Ce Maroc ! 1975
- Une Odeur de Mantèque, 1967
- Une vie, un rêve, un peuple, toujours errants, 1978
- Résurrection des fleurs sauvages, 1981
- Légende et vie d'Agoun'chich, 1984
- Il était une fois un vieux couple heureux.
Sources :
Mohammed Mazouz
Parimazigh n°1 et le magazine Expressions Maghrébines.
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Dossier (sous format word) : Dossier_KHAIR_EDDINE
Hassan DORAMANE